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lundi 27 août 2007

Réactions à "Lectures du corps de Sherlock Holmes à Kay Scarpetta"

Le Corps comme McGuffin : Dupin et Holmes

La lecture impossible du corps au XIXe siècle (et avant) est palliée par le "génie" de l'enquêteur (Holmes la plupart du temps), réussissant à décrypter des indices superficiels. Alors que maintenant c'est la "tache brunâtre à l'intérieur du crâne qui prouve qu'un coup violent a été assené avec une seringue pour tuer les porcs" qui donne les indices les plus probants pour arrêter le meurtrier, au XIXe c'est bien le don du détective qui permet d’arriver aux résultats les plus performants. Car il ne voit pas les choses dans leur individualité quand il se trouve sur la scène du crime (ou après le récit d'un des témoins), mais il élabore d'abord une théorie, puis la fait vérifier en pratique par quelqu'un d'autre pour coincer le malfaiteur. Les résultats de Dupin ou de Holmes sont uniquement dus à leur faculté d'analyse différente de l'homme normal...

Quand Holmes nous explique par A + B comment il a fait pour déduire le métier de son visiteur, il reste mystérieux ; quand Dupin est capable de recouper des articles de journaux comme il le fait, on sait qu'il est le seul de sa génération à le faire.

Le côté très hobby des enquêtes de Holmes donne aux victimes l'unique fonction de Mcguffin, ou d’ « amorce »... L'idée du McGuffin paraît aussi assez juste pour Dupin. Dans Le Mystère de Marie Roget, Dupin effectue son enquête à partir d'articles de journaux et des recoupements qui en découlent. A la fin de ses déductions et explications ("...et nous suivrons le meurtrier à la piste."), le narrateur (ou les éditeurs ?) commente :

Pour des raisons que nous ne spécifierons pas mais qui sautent aux yeux de nos nombreux lecteurs, nous nous sommes permis de supprimer ici, dans le manuscrit remis entre nos mains, la partie où se trouve détaillée l'investigation faite à la suite de l'indice, en apparence si léger, découvert par Dupin. (C'est moi qui souligne) Nous jugeons seulement convenable de faire savoir que le résultat désiré fut obtenu, et que le préfet remplit ponctuellement, mais non sans répugnance, les termes de son contrat avec le chevalier. (Bouquins, Robert Laffont).

Le corps n'est pas plus qu'un objet, une sorte de déclencheur à raisonnement. Le détective n'est sans doute pas amateur de la mort, mais davantage du mécanisme mis en route par sa propre raison pour découvrir l'assassin...C’est la raison de sa réussite : il applique à un être humain qui suscite la pitié un raisonnement impitoyable car neutre...Sa méthode, finalement, est peut-être plus scientifique qu'on ne le croit : il supprime tout élément extérieur à sa chaine de raisonnement pour découvrir l'assassin, il se moque de la famille de la victime, de son âge, de l'atrocité de ses blessures.

Du raisonneur au scientifique

Jusqu'à maintenant, on ne retrouve ces personnages de médecin légiste, anthropologue judiciaire etc. comme personnages principaux que chez les nord-américains. C’est un phénomène très culturel et très limité. Etant donnés les progrès de la science en matière de criminologie, ce que Reichs ou Cornwell écrivent à l'heure actuelle sera dépassé dans 20 ans alors que les facultés de déduction, l'intelligence de Dupin et Holmes ne changeront pas. Les expériences de Holmes sur le sang sont tout aussi efficaces sans qu'il ait besoin de nous expliquer toutes les étapes avec un vocabulaire où le moindre mot fait une demi-ligne.

Le traitement du corps dans le roman policier a totalement changé, mais plus que la méthode du détective, c’est le traitement de la victime qui s’est transformé : le scientifique se fait porte-parole du mort. Cette importance du fait de donner un nom à la victime ne contribue pas juste à enlever la poésie des appellations des morts; elle montre aussi que la victime n'était absolument pas au centre des romans antérieurs : ce qui nous intéressait, c'était comment le détective arrivait à confondre le coupable. On préférait le raisonnement au résultat du raisonnement. Contrairement à cela, Holmes résout des enquêtes "for art's sake", et n'a aucune contrainte qui pourrait fausser son jugement, comme la nécessité de rendement ("je dois trouver un coupable, je dois trouver un coupable sinon le patron me vire"). Du fait qu'il est totalement extérieur à des considérations matérielles ou politiques (il ne sait pas que la terre tourne autour du soleil et il ne connait pas le nom du premier ministre), rien ne peut le distraire de son but, ce qui est parfait pour un logicien. Cela explique aussi l'attrait de l'opium, qui l'emmène dans un monde au delà des basses considérations matérielles et l'enferme dans son propre monde auto-suffisant de logique. Les Sherlock Holmes ou les Dupin sont rarement longs (ils n'atteignent pas les 200 pages minimum des romans actuels). Le fait de s'intéresser à l'humain, de penser que la victime est pleurée par ses proches et qu'il faut lui ramener sa dignité ne ferait que rallonger les enquêtes et perdre au détective son efficacité. Le facteur humain est parasite. Holmes est beaucoup plus efficace car il est son propre moteur, il défie sa propre intelligence plutôt que de travailler dans l'optique de porte-parole de victime. Désormais on privilégie la victime aux procédures : ce qui compte, c'est de lui rendre la dignité que le meurtrier lui a enlevée, c’est une sorte de pacte entre la victime et le scientifique pour rendre la justice là où d'autres testaient leur habileté et jouaient.

Le coupable comme clôture : schéma écrit et format télévisuel

Pourquoi lire des romans policiers ? Si on s'en tient à un schéma simpliste, on a : transgression de l'ordre (meurtre, crime) => enquête => rétablissement de l'ordre (sauf pour la victime et le coupable). Quand on commence un polar, on s'attend toujours à ce que le coupable soit retrouvé à la fin. Seule Irène Adler, dans les Sherlock Holmes, parvient à échapper au détective... Le voleur de l'escarboucle bleue s'enfuit aussi, mais avec le consentement de Sherlock car c'est un vol, ce qui explique la sympathie du détective.

Les séries télé doivent également apporter la résolution de la transgression à la fin de l'épisode.

De plus, après avoir regardé plusieurs dizaines d'heures des Experts, de FBI portés disparus, de Bones et de NCIS, on ne regarde plus la maison du disparu/du criminel pareil. On remarque que la femme seule ne l'est pas tellement, parce qu'en arrière plan la lunette des toilettes est relevée, ou que l'enfant si mignon qui n'a pas pu sauver sa sœur de la noyade arrache les têtes de ses poupées... Les scénaristes aiment bien qu'à la fin le spectateur, non seulement se soit fait avoir mais en plus soit en mesure de le reconnaître. Quand Holmes raconte comment les choses se sont passées, c'est l'évidence même. Watson le souligne régulièrement d'ailleurs. Avec l'image, c'est beaucoup plus facile: disposition de photos dans la salle, de vases que l’on retrouve chez d'autres personnes, une longue-vue...Et le spectateur, au bout d'un moment comprend le truc (ce sont toujours les mêmes utilisés) donc il sait qu'il doit parcourir toute la scène du crime parce qu'il sait que les indices y sont et qu'il peut être à même de découvrir l'assassin avant la fin des 40 minutes de l'épisode. D'ailleurs, il arrive assez fréquemment que le spectateur ait trouvé la solution au bout de 10 min et les inspecteurs mettent encore 1/2h (par respect du format) avant de trouver. A l'écrit, ce doit être quasiment impossible. Si l'auteur passe du temps à décrire une photographie, on sait que cela a de l'importance (ou alors il triche) alors qu'une caméra peut passer l'air de rien devant. Il y a aussi des codes dans les séries, des choses que l’on retrouve d'une série à l'autre et le spectateur averti sait souvent ce qui est important. Mais le medium audiovisuel est privilégié pour ça : il permet d'avoir plusieurs plans / niveaux / profondeurs d'image en même temps.

Adler : Pour les différents plans dans une série qu'on ne retrouve pas dans un roman : il y a aussi différents plans de compréhension dans un roman selon moi. Par exemple : on te donne une énumération des affaires trouvées sur la victime et on s'attache à x alors que c’est y l'intrus qui te permet de découvrir que quelque chose cloche. On est certes aidé avec le visuel. Mais autre exemple qui me vient à l'esprit : quand on trouve un mort avec écrit "Rache" au mur, l'être de base suit les suggestions du flic et pense à Rachel, alors que celui qui connait "Spate Rache" par exemple sait déjà qu'on a affaire à une vengeance.

Challenger : Je suis d'accord. En visuel on a tout simultanément. Par exemple, moi, dans les séries, quand on entre dans une pièce, je regarde toujours toutes les photos. Quelqu'un d'autre regardera sûrement les papiers, les diplômes au mur, la cravate du type, ce genre de choses.

A : Mais une énumération ne serait-elle pas pareil dans un roman?

C : A l'écrit, n'importe quelle description / énumération implique un choix plus important de l'auteur. A l'écran, des choix ont aussi été faits mais en général tu n'as pas de focalisation réelle sauf pour te dire "attention!" parce que la plupart du temps les photos sont floues. Impossible de décrire une photo en flou dans un livre. L'écran est faussement objectif aussi : si la caméra réussit à défloutiser une photo, elle te dit "regarde ça" comme l'auteur de l'énumération te dit "attention à la tenue du type". Toi, en tant que spectateur tu peux ignorer la caméra en regardant toujours dans le flou plutôt que regarder le truc défloutisé, alors qu'à la lecture tu peux plus difficilement ignorer la description pour regarder derrière : il n’y a pas de derrière.

A : Watson te donne une énumération, en quelque sorte, il te défloute la photo en te disant "et on a trouvé ce parapluie avec les initiales D.R., je pense que c'est une piste" blablabla... alors que Holmes, lui, va plutôt être intéressé par le flou "derrière", qui peut être la présence de lunettes de soleil alors qu'on est en plein hiver. Je sais plus au début de quelle histoire il y a une canne et Holmes demande à Watson de faire des déductions. A la fin, Holmes rétorque que c'est bien, toutes les inepties qu'il a dites lui donnent envie de continuer ses enquêtes. Watson c'est le procédé pour mettre en valeur ce qui n'a pas besoin de l'être et pour mettre les conclusions de Holmes en valeur comme le défloutage de la caméra, qui aide au rebondissement final.

C : Tu n'évoques que les personnages intradiégétiques : Holmes, qui voit le derrière, est interne à l'histoire. En tant que lecteur tu ne peux pas voir ce derrière tant que Holmes ne te l'a pas donné alors que la caméra, même en s’étant focalisée sur une chose, te permet de le distinguer quand même.

A : J’admets, on ne peut pas avoir deux dimensions en même temps à l'écrit…

C : C'est plus difficile d'avoir du flou à l'écrit : tu ne peux pas écrire "et pendant que nous parlions à Charles Peter, nous pouvions apercevoir les photos de ses deux enfants derrière lui". Tu peux l’écrire mais les photos ne sont plus dans le flou, dès lors. A l'écran, tu vois Charles Peter et tu vois que derrière il y a les photos.

A : En revanche, tu peux donner une description qui semble rapide de l'appartement avec des photos accrochés au mur...Par contre, si le coup des deux enfants est important, cela ne fonctionne pas.

C : Tu peux avoir le coup des deux enfants auquel tu ne fais pas spécialement attention et après tu te rends compte que ça avait toujours été là quand la caméra zoome : tu n'as plus que le zoom à faire en fait. A l'écrit, si l'auteur prend le temps de dire qu'il y a une photo avec deux enfants, tu le gardes dans un coin de ta tête et plutôt que zoomer, la narration revient dessus. Cela étant, dans les descriptions de ce genre à l'écrit, je doute qu'il y ait beaucoup de gens à se rappeler à la fin que cette photo avait été mentionnée au début.

A : Souvent, dans une série aussi, on ne regarde bêtement que le 1er plan.

C : Tu évoquais la lunette des toilettes relevée ou le gosse qui arrache les têtes de ses poupées : je pense que dans ce genre de séries hebdomadaires, tu retrouves toujours les mêmes trucs, peut-être exploités différemment. Au bout d'un moment, tu connais des ficelles, tu sais qu’en TV, il faut regarder le deuxième plan. L'écrit à ce niveau-là me semble plus diversifié, peut-être justement parce qu'il cache plus. Je pense aussi que tu acceptes plus facilement dans un bouquin que le coupable soit quelqu'un que tu n'as jamais vu. En TV, à mon avis, il faut plus que l'inspecteur confonde un coupable qui est là depuis le début.

A : (aaaah non, selon la règle 14 de Van dine, tu ne peux pas !). Ahem. Clair

C : On est en train de comparer deux supports complètement différents qui du coup n'ont forcément pas les mêmes règles. Y a-t-il de la photographie policière ou des tableaux policiers au sens strict ? On compare des supports qui n'ont pas les mêmes règles mais qui utilisent les mêmes genres et les mêmes idées.

A : C’est curieux de se dire qu’il existe des tableaux gothiques ou romantiques mais pas policier. Le policier ne se définit-il que par l'action?